Jour 42 – 15 mars 2019

Voici un texte que j’ai rédigé, en vue d’une discussion dans un séminaire de création littéraire. Le sujet choisi par mon équipe : La censure et l’autocensure en création littéraire. Je me suis occupée de la question de l’autocensure…

L’autocensure « extérieure »

Que ce soit par une volonté de se conformer à des standards culturels, sociaux, éditoriaux ou artistiques, l’écrivain jongle avec certains impératifs et doit, lorsqu’il crée, se questionner quant aux influences extérieures qu’il reçoit. Évidemment, il est aisé de parler d’autocensure lorsque vient le temps, pour certains auteurs, de se positionner face à des enjeux « d’appropriation culturelle » ou « d’empathie historique », mais poussons notre réflexion plus loin… pensons aux dogmes stylistiques et aux conventions de certains genres littéraires.

  • Vous empêchez-vous de modifier vos textes afin de convenir à un canevas, à une convention littéraire ou à un format habituel?
  • Arrivez-vous, lorsque l’inspiration est au rendez-vous, à créer librement sans égard aux règles des « institutions » et aux dictats littéraires?

Selon Myriam Salama-Carr, une forme de l’autocensure s’explique par l’inclusion dans une œuvre d’une « médiation [entre l’œuvre et son auteur] soumise à diverses contraintes institutionnelles et idéologiques[1] ». De peur de heurter, de déranger un ordre établi sous peine d’être mis à l’écart ou inconsidéré par les pairs, l’autocensure parvient alors à s’immiscer dans les processus de création.

  • Laissez-vous les idéologies contemporaines vous aiguiller sur ce que vous ne devez pas aborder comme sujets et/ou questionnements au sein de vos créations?

Revenons maintenant sur la question « d’appropriation culturelle ». Nous avons tous été témoin des démêlés artistiques des derniers mois quant aux œuvres « mises à l’index ». Sous peine que leur œuvre se voie refusée à l’édition, censurée, expulsée ou boudée, les auteurs contemporains sont sur le pied de guerre et doivent, pour plusieurs, s’ils veulent être lus ou joués, faire preuve de prudence.

  • Suivant cette logique, y a-t-il une différence entre Prudence et Autocensure?

L’autocensure « intérieure »

D’un point de vue psychologique, l’écrivain peut aussi faire face à une autocensure qui le confronte à ses propres valeurs et à ses fondements affectifs. Simone de Beauvoir, dans La force de l’âge écrivait : « Privée de ma liberté par un jeu de barrages et d’autocensures, je n’ai su ni créer un personnage ni tracer un portrait[2] ».

  • Vous est-il déjà arrivé, par « un jeu de barrages et d’autocensures », de ne pas écrire quelque chose, de ne pas vous le permettre?

Parfois, même plus souvent qu’à son tour, l’écrivain se confronte à ses propres limites affectives. De peur d’entrer dans des parties plus sombres de son existence, des parties moins maîtrisées, de peur de heurter les sensibilités des lecteurs qui l’entourent (famille et amis), certains auteurs prennent la décision de modifier les tenants de leurs textes, de ne pas dire et/ou aborder certains éléments contenus dans le fond de leurs créations. Mais cette autocensure consciente s’oppose alors à l’idée de laisser naître un récit sur lequel nous n’avons pas de contrôle.

  • Est-ce qu’il y a dichotomie en vous entre l’autocensure « intérieure » et la notion de « découvrir en écrivant » proposée par Alain Beaulieu?
  • Qu’advient-il à l’œuvre lorsqu’en s’abandonnant à l’écriture il nous vient des bribes de récits dans lesquels nous préférons ne pas nous aventurer? (ex : viol, violence, sexualité, tabous intérieurs, conflits familiaux, etc…)
  • Devient-elle un mensonge? Une forme hybride de ce qui devait être raconté?
  • A-t-elle la même puissance, la même portée?

Évidemment, lorsque nous parvenons à contrer l’autocensure, à se permettre de livrer sur papier tout ce qui a germé en nous, l’auteur doit faire face à la musique de la diffusion de son œuvre. La création tombe alors dans les mains des possibles censures, aux regards des lecteurs, des institutions, des journalistes, de notre société.

  • Comment réagiriez-vous face à la « censure » de vos créations?

La censure a aussi ses richesses publicitaires. À ce sujet, Denise Merkle parlait de Zola dont l’œuvre avait été censurée et disait que « Zola, tout en craignant cette censure, lui est reconnaissant de la publicité gratuite (et des recettes) qu’elle entraîne[3] ».

  • À ce propos, accepteriez-vous que l’une de vos œuvres controversées bénéficie d’un engouement de ce genre?
  • Assumeriez-vous (ou non) les critiques et les combats liés à ces censures?
  • Comment gèreriez-vous les blâmes?

[1] Myriam Salama-Carr, « L’autocensure et la représentation de l’altérité dans le récit de voyage de rifā’a rāfi’ al-TahTāwī (1826-1831) », dans TTR Traduction, terminologie, rédaction, Censure et traduction en deçà et au-delà du monde occidental, volume 23, numéro 2, 2e semestre 2010.

[2] Simone de Beauvoir, dans La force de l’âge, 1960

[3] Denise Merkle, « Émile Zola devant la censure victorienne », dans Genres littéraires et traduction, Volume 7, numéro 1, 1er semestre 1994, p. 77-91.


En 2019, je me discipline à composer aussi souvent que possible…
bon voyage au centre de mon imaginaire!

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