L’université des artistes

Communication effectuée lors d’un colloque portant sur la poétique du média, à l’université Laval, au printemps 2017.
Caméra artistique : Gabriel De Garie

Vous trouverez sur cette page (à la suite du vidéo de la communication publique) tout le texte de cette recherche, le contenu y est beaucoup plus complet et nuancé.

Titre : Quand la poétique du média nuit à l’art

Je m’adresse aux artistes qui fréquentent les universités

À ceux qui les guident dans le cadre d’une recherche/création.

Et, plus largement à tous les universitaires qui trouveront que le chapeau leur fait

DÉFINITIONS DES TERMES

Poétique

Désigne l’étude et la théorisation de la création artistique

Étude critique, théorique du fonctionnement…

Théorie générale et non particulière pour chaque œuvre.

Média

PETIT ROBERT : Moyen de Diffusion, de distribution, de transmission

Là-dedans : théâtre, cinéma, musique, livre, la télé, internet, etc…

Art / Question complexe!

On s’obstine encore sur ce qu’est l’art, on le questionne parce que toujours en mouvement :

Et les universitaires ne s’entendent toujours pas sur ce que c’est vraiment, chacun y va de sa théorie et de ses nuances.

Mais pour le bien de ma communication je vais baser ma définition sur les travaux présentés au colloque What is Art for? British Museum à Londres en 2015 et en 2016 ailleurs dans le monde avec différents intervenants : mathématicien, auteur, historien, neuro-scientifique….

On y parle de nature humaine, que l’art fait appel à une forme d’intuition, que ça naît du sensible individuel et collectif et que de ceci jaillit une création, appelé œuvre proposant une perception du monde unique et individuelle.

Un artiste serait donc quelqu’un qui crée de manière sensible.

Sensibilité : Petit Robert

  • Propriété (d’un être vivant, d’un organe) d’être informé des modifications du milieu (extérieur ou intérieur) et d’y réagir par des sensations.
  • Propriété de l’être humain sensible (I, 2°), traditionnellement distinguée de l’intelligence et de la volonté.

Alors la sensibilité propre aux artistes s’éloigne des notions théoriques proposées par la poétique, l’art est l’expression d’une nature profonde.

On se retrouve alors dans un conflit qui dure depuis des siècles

Entre la théorie et le sensible

Entre le scientifique et l’empirique

La théorie et la science qui nous amènent à conceptualiser des éléments

Et le sensible, l’empirique, le vécu direct qui nous guident aux créations artistiques

La conceptualisation d’idée dans le but d’une création serait alors une discipline intellectuelle qui s’apparente davantage à l’ingénierie qu’à l’art!

Car le danger actuel avec les «œuvres» universitaires : c’est que les créations sont souvent liées par des directions intellectuelles et des expérimentations qui ne peuvent pas être lisibles directement et sans connaissance de leur genèse.

Ces créations deviennent donc difficiles d’accès, et offertes à une élite dite «savante» qui connait la poétique, la conceptualisation et tout ce que l’université nous demande.

Il faut se poser la question : est-ce ce que vous souhaitez? Peut-être…

Plus tu deviens conceptuel et dépourvu d’une implication sensible, plus tu t’éloignes de la nature de la création artistique.

Je crois que l’un peu exister avec l’autre (art et théorie) mais il faut être un habile jongleur et vouloir faire des prouesses importantes afin de ne pas se laisser happer et enraciner par la rigidité des théories et resté sensible face à nos créations.

Si je m’adresse à vous aujourd’hui c’est pour vous aider à ce que ce conflit n’existe pas en vous.

  1. Vous en faire prendre conscience
  1. Vous proposer des solutions si vous vous sentez enseveli sous une couche lourde créée par l’omniprésence de l’intellect.

Le défi de la sensibilité et de la liberté

Habitudes cérébrales, vision tunnel

Notre cerveau se modèle en recevant de l’information. Enfant on apprend à une vitesse folle, on apprend un jour à faire des boucles à nos lacets et un jour on fait la boucle sans même y penser. C’est comme ça dans toute forme d’apprentissage.

L’humain est un être d’habitude et quand il en sort ça lui demande un effort. C’est pourquoi, à l’âge adulte, le cerveau se modèle suite à une action volontaire. Ça part d’une décision.

Exemple : je m’inscris en pâtisserie parce que je veux volontairement apprendre ses pratiques, sa chimie particulière. Une décision ouvre notre esprit à un nouvel apprentissage.

La neuroplasticité du cerveau se modèle en fonction des chemins que l’on fait le plus souvent. Et le cerveau les réemprunte automatiquement. Comme pour lacer ses souliers et brasser une crème pâtissière.

Par contre, à force de devenir des maîtres ou des professionnels de la crème pâtissière ou du laçage de soulier on arrive parfois à tomber dans le piège du Ferré!

La loi du ferré, telle que présentée par Marc-Olivier Vachon

Cette loi propose l’idée que notre capacité à innover est inversement proportionnelle au savoir-faire que nous y avons développé à travers le temps.

D’où l’idée répandue dans tous les domaines : Pourquoi changer une recette gagnante?

Désavantage : ne sort pas des sentiers battus et ne se remet pas en cause. Comme si on était sur une voie ferrée.

Le paysage reste le même. Difficile d’explorer de nouvelles avenues.

On agit de façon semi-automatique

Ça a des avantages…. On fait les choses plus vite, on doute moins, on a l’esprit moins agité, c’est moins épuisant, car l’esprit peut faire plus d’une chose à la fois quand une chose est acquise.

Mais le changement n’est pas une option, on ne se lève malheureusement pas tous les matins en se disant qu’on va inventer un nouveau nœud pour nos lacets… rares sont ceux qui le font!

Dans cette optique, comment réfléchit-on aux médias

Là, l’habitude cérébrale est omniprésente.

Si je vous dis «salle de cinéma», tout le monde se fait une idée de ce que c’est, et étrangement elle sera surement similaire d’une personne à l’autre parce que notre culture et nos expériences nous amènent à avoir un certain nombre de repères commun.

Comment pense-t-on le théâtre, en fonction de ce qu’on nous a enseigné, de ce qu’on a expérimenté.

Comment pense-t-on la musique, l’écriture, etc…

Les institutions nous imposent également ces cadres

Les éditions veulent un format spécifique

Les divers départements universitaires s’attendent à ce que les étudiants répondent à certains standards

La télévision demande une durée d’émission

Chaque média a son fonctionnement et l’habitude de ses méthodes

Les gestionnaires des médias nous dictent les cadres à respecter si on veut avoir l’étiquette d’une pièce de théâtre, d’un film, d’une série télé…

Ex : 43 minutes pour un épisode de télésérie (question de laisser assez de temps pour les publicités) avec X nombres d’arrêts, et tu es mieux d’avoir un élément qui donne envie au téléspectateur de rester après la pause et de voir la prochaine émission la semaine prochaine.

Au lieu d’innover, les institutions se plient à d’autres contraintes et imposent leurs cadres aux créateurs. Prendre des risques??? Oui, mais calculés.

Où est donc la liberté de créer dans un monde artistique rempli d’autant de contraintes et de conventions?

Le problème de la formation universitaire et des institutions

Le plus gros problème est lié aux habitudes cérébrales

L’habitude est de perpétuer l’idée des contraintes, d’appuyer les conventions et de dicter ce que doivent être les références dans chaque domaine d’activité!

Ce sont de grands ingénieurs de la poétique!

Ils tracent les règles, les cadres, réfléchissent le monde et le définissent.

Ce qui n’est pas mauvais en soi, mais qui devient nuisible dans un processus de création ou d’innovation. Car ces deux procédés ont le devoir de sortir des cadres et des conventions.

La formation académique nous amène à adhérer à un système de croyances et de concepts que nous perpétuons en acceptant de s’y conformer.

L’université, et la formation en général, tente d’ignorer toute la valeur des connaissances empiriques qui sont le coeur de toute création artistique.

Robert Lepage a souvent soulevé l’idée qu’il faut «montrer le personnel pour atteindre l’universel». Où est la place du personnel dans la recherche/création universitaire? On nous pousse, règle générale, à élaborer nos concepts, nos théories, nos appuis scientifiques… On nous guide rarement à faire l’étude de notre être, de ce qui nous constitue, de notre unicité sensible.

On ne peut pas dire qu’une chose est ceci ou cela, si une autre recherche ne l’a pas prouvé.

Parce que le ressenti n’est pas une réponse acceptable.
À force de satisfaire toutes leurs exigences, d’expliquer et de justifier chacune de nos intuitions créatrices, nous ne sommes pas en train de créer, mais bien de s’expliquer.

J’en suis donc venue à comprendre, qu’à l’Université, on fait de la construction, de l’ingénierie… on reprend toujours les mêmes bases scientifiques pour tenter d’ajouter un étage au grand édifice du savoir et de l’intelligence.

Nous ne sommes pas cordialement invités à en créer un nouveau!

Il faut le savoir et en être conscient.

Ici, tout doit être nuancé, soupesé, réévalué…

Mais avec trop de nuances… tout devient gris!

Et l’art n’est-il pas censé être un éclat de couleur dans notre monde?

L’intellectualisation des éléments créatifs a donc souvent l’effet de nous éloigner de notre artiste intérieur. Car les habitudes cérébrales de réflexions nous guident vers l’acceptation des cadres, des idées émises, des concepts. On accueille un patrimoine scientifique, des structures, des méthodes que l’imaginaire n’a pas.

Car l’imaginaire existe dans un univers libre de toute structure, de toutes contraintes.

L’université tue l’instinct créatif en mettant des règles, des cadres! Car en prenant l’habitude de s’expliquer, de chercher des théories, de se questionner sur la poétique, il devient dangereux d’appliquer ces mêmes réflexes cognitifs à nos créations, à intellectualiser plutôt que d’exprimer notre sensibilité.

L’université est loin d’être mauvaise, il faut seulement avoir conscience de ses impacts et constater l’écho qu’elle a en nous afin de voir si ses applications nous aident à faire plus de place à l’artiste sensible qui est en nous… ou non.

Comment créer librement

Face aux habitudes cérébrales

Retour sur un point précédent : À l’âge adulte, le cerveau se modèle suite à une action volontaire. Cela part d’une décision.

Alors, prendre la décision d’ouvrir à de nouvelles habitudes plus saines pour un artiste : Notre capacité de se remettre en question.

La peur du changement : devant un précipice, devant l’inconnu.

Ayez le courage de modeler votre cerveau comme vous le voulez. Ça demande des efforts, une grande force de caractère, mais je l’ai fait plein de fois. Je suis la preuve vivante que ça marche. Pas besoin d’étude qui dit 66 jours ou 21 jours pour changer…. Ça prend le temps que ça prend, mais on peut y arriver.

Alors je vous invite à devenir des maîtres ou des docteurs de l’introspection…

D’avoir la force de changer la manière dont vous lacez vos souliers. Et une fois que vous sentez que c’est acquis, changez de perspective, inventé une autre méthode. Apprenez à avoir différents points de vue sur votre structure mentale. Comme le metteur en scène qui change de place dans la salle et réajuste sa mise en scène.

Soyons des artistes pour nos têtes et nos coeurs, soyons sensible à nos ressentis, et trouvons le moyen le plus efficace pour exprimer la profondeur de notre être.

Habitez votre corps, pas seulement votre tête.

Face aux médias

À la lumière de tous mes propos, le média utilisé, ou l’hybridité de celui-ci, devient alors le simple canal de communication entre notre cœur et l’œuvre que nous créons.

Personnellement j’ai des sensibilités qui trouvent davantage le chemin du théâtre, d’autres de la littérature ou des arts plastiques, mais par respect pour mon art, pour ma sensibilité, je me dois de créer sans cadres.

L’art multidisciplinaire tend à faire écho à cette liberté de créer sans cadres et sans barrières. Et c’est beau.

Mais encore là, des chercheurs tentent de baliser et de se questionner sur la poétique de ce métissage.

Comme créateur, ces connaissances théoriques ne devraient pas influencer ou baliser notre imaginaire.

La recherche devrait aller au-delà des cadres du département : aller en histoire, en psychologie, en médecine! Allez au-delà du domaine dans lequel vous cheminez, changez de perspective.

Face à la poétique, aux théories académiques, aux institutions

On a vu que l’habitude cérébrale découle de cadres qu’on se laisse imposer par d’autres.

Alors je vous invite à faire à votre tête!

Ne pas écouter les consignes!

N’accepter jamais de vous faire dire qu’ils n’ont jamais vu un projet comme le vôtre, qu’il sort des cadres, que vous devriez revoir ce que vous avez envie de livrer, n’acceptez pas de vous modifier parce qu’il ne cadre pas dans leurs habitudes cérébrales et leurs structures.

Créer ce n’est pas une note sur un bulletin, ce n’est pas une bourse de création, c’est l’expression de notre imaginaire libéré de toute obligation.

Tu vas contre de l’art quand tu veux satisfaire des standards, des méthodes ou appliquer des théories.

Rien n’empêche d’avoir une bonne note, ou une bourse, mais quand tu agis pour te conformer à un cadre, pour des raisons d’avancement professionnel ou d’honneurs académiques, tu te tromperas à chaque fois.

Soyez libre.

Je vous souhaite d’en arriver à prendre les notions théoriques comme un bagage, que ses applications soient une seconde nature. Et au-delà des théories, faites des ateliers, des expériences, faites des exercices… ce qui permettra que les notions techniques deviennent pour vous une seconde nature.

Passer plus de temps à faire qu’à réfléchir!

Un prof avait inscrit sur le tableau comme matière au cours : «C’est en écrivant qu’on devient écrivain!»

C’est d’une logique! J’avais adoré!

Alors dans la même optique : C’est en cherchant qu’on devient chercheur! C’est en universitant qu’on devient universitaire!

Tout dépend de ce que vous voulez être!

Ne pas accepter les cadres et les structures comme un acte de foi. Comme une vérité parce que d’autres personnes on dit oui à tout ça avant vous. Il faut les transcender ces règles.

Et pour ceux et celle qui ont la force de se battre, de tenir bon, de ne pas sombrer sous le poids des théories; l’avantage de connaître les règles nous donne justement le pouvoir de les changer!

Et je suis loin d’être certaine que la révolution demande plus de temps et d’énergie que le conformisme, je pense qu’on ralentit l’évolution humaine tout entière quand on décide de se conformer!

Conclusion

Je vous invite donc à la désobéissance universitaire si c’est ce que vous ressentez.

Sinon je vous invite à quitter votre programme d’étude afin de garder un équilibre affectif et artistique.

Faites confiance à vos instincts (ils ne vous tromperont jamais)

Faites de l’introspection! C’est le chemin le plus rapide vers votre artiste intérieur.

Utiliser votre intellect quand c’est nécessaire et qu’il est au service de vos créations, pas l’inverse, il ne faut jamais forcer votre imaginaire à suivre une théorie.

Ce sont ceux qui pensent hors des cadres qui font évoluer le monde, qui changent notre univers, qui innovent, qui nous émeuvent et nous font avancer.

Arrêter d’avoir peur! Sautez!

La poétique du média nuit à l’art quand on accepte qu’elle contrôle nos créations.

Alors soyons libre les amis, soyons des artistes!

Partagez! Envoyez! Imprimez!
Share on Facebook
Facebook
Tweet about this on Twitter
Twitter
Share on LinkedIn
Linkedin
Pin on Pinterest
Pinterest
Email this to someone
email
Print this page
Print

1 réaction sur “ L’université des artistes ”

  1. Danielle DeGarie Réponse

    Allo, je vu ton exposé de l’an dernier et je viens de le relire, mais en commençant par la fin…
    « Utiliser votre intellect quand c’est nécessaire et qu’il est au service de vos créations, pas l’inverse, il ne faut jamais forcer votre imaginaire à suivre une théorie» et voilà! Je viens de citer ma fille! (moi, la théorie!!!)
    Bravo Arielle! Je t’admire et je t’aime.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *